16 October 2014

Il faut savoir écrire

Ceci est incompréhensible. Je suis incapable de rédiger un texte qui me semblera vraiment satisfaisant après en avoir fait plusieurs lectures sur une période assez longue. Bien qu'elles ne soient pas très nombreuses, certaines de mes photographies restent valables à mes yeux et, au fil du temps, ne perdent rien ou pas grand-chose de ce qui fait leur intérêt. Je peux poser mon regard sur quelques-unes de mes planches, ces assemblages réalisés au moyen de logiciels conçus pour le graphisme, et me dire qu'elles tiennent la route, quand bien même je les aurais vues et revues de nombreuses fois.

Si, pour ces photos ou ces planches, j'en arrive à penser que j'ai produit un bon travail, et, par conséquent, que je peux être relativement content de moi, en revanche, je ne peux me satisfaire d'aucun de mes textes de façon presque définitive, c'est-à-dire sur un laps de temps qui irait au-delà de quelques mois. Lorsqu'il m'arrive de relire l'un de mes écrits, assez longtemps après sa publication, ma première réaction est de me dire que je devrais l'écraser immédiatement afin de ne pas ternir mon image de marque, cette lente et patiente construction dont la façade donne directement sur le Web et se montre publiquement.

Alors, je pense à tout le mal que je me suis donné pour le rédiger et je me dis qu'il m'est impossible d'y renoncer, de réduire à néant cet écrit laborieux qui m'a coûté tant d'efforts. D'autant plus que je sais que j'ai mis en ligne un tas d'autres textes bien plus mauvais que celui que j'ai alors sous les yeux. Ce qui fait que, si je le retirais, logiquement, pour être parfaitement cohérent, il me faudrait aussi en faire disparaître des dizaines, sinon des centaines d'autres. Et même, tout faire disparaître, du premier au dernier texte. Aussi, je me console en imaginant faire mieux la fois prochaine, sachant pourtant pertinemment, en mon for intérieur, que cela me sera absolument impossible que je ne rédigerai jamais rien de vraiment valable.

Alors, pourquoi s'acharner à écrire et ne pas se lancer dans la fabrication de macramés ou d'origami, ces fameux papiers pliés ? C'est une question à laquelle je ne peux répondre avec suffisamment de certitude. Je ne peux avancer que quelques hypothèses, dont la première, qui me vient à l'esprit, me laisse penser que c'est probablement lié à mon environnement culturel, à cette influence de la langue française — langue première — sur mon comportement, mon habitus, comme dirait l'autre.

Pour un cerveau normalement conçu, formaté en langue française, acclimaté aux us et coutumes de la nation, l'écrit est le révélateur suprême de l'intelligence. Pour ne pas avoir l'air idiot, il faut savoir écrire. Personne ne pourra te dire comment il faut s'y prendre, ni même ce qui est finalement attendu d'un texte, mais si tu parviens à te faire reconnaître comme écrivain, c'est tu n'es pas loin des cimes les plus élevées, celles qui se dressent à l'horizon du sublime paysage culturel francophone. Ainsi, par ton discours scriptural tu pourras, avec un peu de chance, être couvert de gloire et d'insultes, parce que pour le banal cerveau français l'une ne va pas sans les autres.

Un beau jour, tu débarques sur le Web — moi, je m'en souviens, c'était en 1998 — et tu regardes grossir la communauté francophone et française en particulier, puisque c'est ta nationalité et parce que, dès ta naissance, tu as baigné dans la langue de Corneille.

Quelque temps plus tard, dès que le page-rank de Google fait son apparition, tu te rends compte que les plus habiles à manier cette langue, tels que les journalistes, s'installent aux meilleures places. Si tu ne veux pas rester noyé dans la masse, tu dois commencer, toi aussi, à t'entraîner. Ainsi, tu deviens un athlète du verbe. Tu réfléchis avant d'écrire — ce que je ne fais d'ailleurs jamais. Tu sais surtout que tout le monde court après la gloire. Le prix Nobel de Littérature, c'est le Nirvana du cerveau français.

Tu penses que la gloire ne doit pas être si mauvaise que ça puisque tout le monde se bat pour en obtenir, ne serait-ce qu'un tout petit morceau. Ils sont des milliers, des millions à rêver d'en bouffer quelques miettes même si le maigre repas ne doit durer qu'un seul quart d'heure, comme l'avait si bien vu venir l'autre — pas le spécialiste de l'habitus, mais un autre, beaucoup plus célèbre et beaucoup plus riche.

Comme tu as déjà rédigé pas mal de billets, tu commences à devenir un peu plus musclé. Tu te dis qu'après tout Stockholm n'est pas si loin. Tu n'as peut-être pas inventé la poudre, mais rien ne devrait t'empêcher de ramasser un Nobel, si tu t'entraînes un peu plus sérieusement.

Et puis, avec le temps, tu réalises qu'il n'y a pas que le Nobel dans la vie, même si tu es Français. Avec un peu de recul, tu prends conscience que la gloire t'attend peut-être bien plus près que la froide et lointaine Stockholm, juste au coin de la rue. Tu n'aura peut-être pas besoin de bouger de ton putain de quartier. Tu trouveras toujours le moyen d'être édité et publié par François Bon & C°, et, pour ça, tu n'as pas besoin de savoir écrire, tu peux même ne pas savoir lire.

Alors, tu commences à te faire un peu moins chier pour deviner où est-ce qu'il te faudrait placer cette saloperie de virgule. Tu t'entraînes de moins en moins sur les longues pistes du verbe. Aussi, tu te contentes de mettre en ligne, sur ton blog, un billet d'une dizaine de lignes de temps à autre. Petit à petit, en toute discrétion, tu commences à jeter un oeil sur les sites qui t'apprennent à plier du papier à la mode japonaise ou à faire du macramé. Un jour, tu finis par oublier que, des années auparavant, tu rêvais d'un aller simple, direct, sans escale, pour les salons suédois.

Et puis, bien plus tard, tu repenses à tout ça : à ta langue première, ta culture, la Culture, Corneille, l'habitus, les us et les coutumes, le quart d'heure de gloire, l'écriture, le Nobel de Littérature, les longues et épuisantes pistes du verbe sur lesquelles tu as couru comme le dernier des illettrés, les litres de café avalés pour essayer de produire un texte de plus de mille signes, les putains de virgules que tu n'a jamais su et ne sauras jamais où placer, etc., etc..

Alors, tu te dis : « Juste pour le fun, puisque tu ne peux pas faire pire que ce que tu as publié sur le Web jusqu'à présent, pourquoi ne pas raconter cette histoire par écrit, en faire un billet, et te laisser une nouvelle fois rattraper par la gloire, toi qui à toujours tout fait pour y échapper sans jamais y parvenir complètement ? »

04 July 2013

Cons fleuris

Il y a bien quelque chose qui ne tourne pas rond chez les demeurés qui peuplent ce pays. Encore récemment, toute la population était offusquée par les révélations de Snowden disant que la NSA, la CIA, le FBI, et j'en passe, espionnaient le monde entier et que rien n'échappait à Big Brother : ni les conversations téléphoniques, ni les mails, ni les transactions financières, ni rien de ce qui fait la vie privée d'un individu. Quoi de surprenant dans ces pseudorévélations tellement la chose paraissait depuis longtemps évidente ? Pourtant, à ce sujet, tous sont aujourd'hui indignés. Mais, dans ce cas, il faudrait que ces indignés m'expliquent pourquoi dans les bars, les cafés, les restaurants, les transports publics, et partout où ils peuvent faire profiter l'entourage de leurs sublimes conversations, ils ne rechignent jamais. Toujours la gueule grande ouverte. On imagine qu'ils se sentent, dans ces endroits, encore protégés par l'anonymat, puisque les individus qui sont à portée de voix ne connaissent pas — sauf exception — leur identité, ni l'adresse exacte de leur domicile, ni quelles sont leurs fréquentations, leurs parents, etc. Ce n'est plus le cas, quand ces cons-là s'installent sur leur balcon et font profiter toute une résidence de leurs passionnantes conversations. Car ceux qui, de gré ou de force, sont amenés à les entendre, et même — n'en doutons pas — à les écouter, en savent bien plus sur leur identité que lorsqu'ils braillent dans un espace public. Mieux encore, ces idiots adorent passer leurs coups de fil du haut de leur balcon sur lequel ils se précipitent dès que sonne leur mobile, mais aussi pour appeler un correspondant dont on devine presque à tous les coups qui il peut bien être. Alors, pourquoi maudire la NSA, la CIA, le FBI et Big Obama d'un côté, et par ailleurs, étaler en public, à longueur de temps, cette prétendue vie privée, pourtant considérée comme infiniment précieuse ? Bien entendu, je connais parfaitement la réponse à cette question. Le seul problème, pour moi, c'est que je n'arrive pas à me résigner au fait que je suis en permanence cerné par des cons. Invariablement revient une autre interrogation d'une ampleur bien plus vaste que le problème de cette apparente contradiction comportementale, cette inadéquation totale entre discours et actes : pourquoi sont-ils si cons ? Là, on ne peut, quel que soit l'angle sous lequel on aborde la question, être en mesure de construire une réponse définitive ou même satisfaisante. C'est quelque chose qui dépasse l'entendement. Jamais personne ne recevra un prix Nobel pour avoir apporté l'ombre d'une solution. En tout cas, fondamentalement, ce n'est pas la résolution d'un tel problème qui occupe généralement mes pensées. Non, je me demande plutôt pourquoi suis-je si différent. Pourquoi, je ne partage que si peu de points communs avec cette engeance ? Suis-je un monstre ? J'en arrive à me demander si mes origines ne seraient pas extraterrestres. Si je ne faisais pas partie d'une mission exploratrice, venue d'ailleurs, et que tous mes compatriotes se seraient rapidement tirés d'ici, voyant sur quelle putain de planète ils avaient malencontreusement foutu les pieds. Pressés de s'arracher de ce merdier, ils m'auraient abandonné parce que je me serais aventuré, seul, bien plus loin qu'eux. Ou bien, je m'imagine comme une sorte de Crusoé de l'espace, mon aéronef s'étant désintégré à proximité de la Terre. BBL serait alors ma Fin de Semaine. Plaisanteries mises à part, je me sens nettement plus proche de mes animaux que de n'importe quel quadrupède humain. Et j'ai de multiples et très bonnes raisons pour étayer ce sentiment-là. Je les exposerai peut-être une autre fois. Maintenant, me revient en mémoire les bribes d'une comptine de mon enfance dont l'un des couplets parlait de balcons fleuris... Cons fleuris... Cons fleuris...

01 July 2013

Attendre l'été

Dans l'une des lettres adressées à Franz Xaver Kappus, cadet à l’École militaire, qui lui demande s’il doit consacrer sa vie à la poésie, Rainer-Maria Rilke écrit les mots suivants : « Être artiste, c’est ne pas compter, c’est croître comme l’arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l’été puisse ne pas venir. L’été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s’ils avaient l’éternité devant eux. » Les temps ont depuis bien changé, et il est certain qu'aujourd'hui Rilke ne pourrait plus tenir un tel discours. Les printemps ne sont plus ce qu'ils étaient. Ne parlons pas des étés, actuellement inexistants. En raison des « progrès » de la civilisation, les conditions climatiques, atmosphériques, prises au sens propre, ne sont plus identiques à celles du début du 20e siècle. Prises au sens figuré, ces conditions apparaissent, de nos jours, radicalement différentes. A l'aube du IIIe millénaire, un poète de la trempe de Rilke est absolument impensable, inimaginable. Un poète tout court, un artiste de seconde zone est déjà presque introuvable. Et si, par chance, on en trouvait un, on s'apercevrait aussitôt qu'il a déjà un pied dans la tombe. Les grands arbres sont tombés, rien ne pourra les relever. L'automne, l'hiver, le printemps... Tout ça, c'est dépassé. Le cycle des saisons est maintenant sans importance. Attendre l'été n'a plus aucun sens. Cette civilisation est désormais à l'agonie. Reste à patienter pour prendre, un jour ou l'autre, connaissance de son acte de décès. Ne soyons pas trop pressés. La fin des temps est proche.

21 June 2013

Homo festivus

Évidemment, à cette heure-ci, homo festivus est bourré, ce qui le pousse à monter le son de sa sono branlante sur laquelle passe de la musique de merde. Pour se persuader qu'il est en train de vivre une merveilleuse soirée, il gueule à plein poumons, comme le connard qu'il est et qu'il restera. Pauvre tache ! Avant que le jour ne se lève, tu seras étendu quelque part dans ta gerbe et tu pleureras comme une tapette, parce que ta salope de femme, qui admire tant les Femen, se sera tirée avec ton meilleur pote, tout aussi abruti que tu l'es, mais qui tient mieux l'alcool que toi. Elle est belle ta putain de civilisation, avec son calendrier plein de fêtes à la con.

16 June 2013

Depuis neuf ans

Je n'ai pas souvenir de la date exacte, tout ce dont je suis certain, c'est d'avoir ouvert mon premier blog sur Blogger, il y a maintenant neuf ans et que c'était en juin, en juin 2004. J'avais intitulé ce blog Scheiroblog, après avoir tenté de construire l'équivalent d'un blog sur mon premier site installé sur l'un des serveurs de Free. Cette toute première expérience a rapidement tourné court parce qu'il me fallait fabriquer du code HTML en complément de la fabrication des textes, ce qui s'est avéré une opération bien trop fastidieuse. En comparaison, Blogger facilitait grandement la publication et Scheiroblog a donc vécu heureux, régulièrement alimenté, jusqu'à ce que je prenne la décision de l'écraser, probablement fin 2007, quand j'ai supprimé tout ce que j'avais mis en ligne au cours des années précédentes. J'avais alors passé deux mois sans donner le moindre signe d'activité sur le Web. Deux mois de vacances, telles que je n'en ai plus repris depuis. D'ailleurs, m'accorder une période de vacances, comme à cette époque là, est une idée qui me revient fréquemment à l'esprit. Je me demande ce qui m'empêche de mettre ce projet à exécution. La routine, peut-être. Le fait que bloguer fasse partie de mon quotidien depuis, maintenant neuf ans. Drôle d'habitude. Une manie, certainement.

26 May 2013

Atrophie cérébrale

Twitter : miroir de l'atrophie cérébrale généralisée de l'homme civilisé.

04 April 2013

You can get it...

J'ai encore chargé un tas de mp3 en fouillant les serveurs sur le Web. Je suis tombé, par hasard, sur You can get it if you really want de Jimmy Cliff. Je ne peux pas dissocier ce morceau du souvenir de Wolfgang, prostré depuis plusieurs jours parce qu'il sortait de la prison d'Algésiras pour trafic de cannabis. Trahi par le frère de sa femme, vendu à la police des frontières, il avait tout perdu : ses économies englouties dans l'acquittement de sa caution, sa Mercedes saisie par la douane espagnole, et même son unique paire de chaussures qu'il venait de se faire voler par S. alors qu'il dormait à la belle étoile dans un bois d'eucalyptus, près de la merja de Moulay Bousselhem. Je ne sais plus comment il avait atterri là, alors qu'il tentait de rejoindre, en auto-stop, Marrakech où il s'était marié quelques mois auparavant. J'avais hébergé Wolfgang à la maison après avoir convaincu S. de lui rendre ses chaussures. Malgré tout, l'Allemand — je crois me rappeler qu'il venait de Hambourg — broyait du noir. On se réunissait tous les soirs à quatre ou cinq pour d'invariables séances de km'ia ou tassa. Sur fond musique — bien souvent du reggae - produite par un sound-system japonais, on buvait des litres de Moghrabi rouija, versés dans un unique verre à thé en pyrex que l'on faisait tourner, tout en fumant des monceaux de zentla, qualité se'm — mieux que le double zéro —, fourni régulièrement par un capitaine de gendarmerie originaire de Fez. On passait toutes nos nuits à reconstruire le monde, un univers improbable, une sorte de haschich'cosmos. Lorsqu'on était sur le point de perdre conscience, l'esprit bien m's'mok, les neurones déconnectés, les synapses court-circuitées, on tentait de revenir à la réalité en fumant du kif mélangé à du tabac de la région, au goût très âcre, consumé dans le chkef en argile fragile d'un long sepsi taillé dans le bois jaunâtre d'un laurier rose. Wolfgang, qui, hormis sa langue maternelle, ne parlait que l'anglais, ne pouvait pas participer à nos délirantes conversations si l'on ne faisait pas l'effort de le tenir, de temps à autre, au courant des thèses portées par notre fulgurant discours, dans une traduction anglaise approximative. Aussi, pendant ces interminables nuits — le temps était aboli —, il se contentait de se perdre dans les méandres de ses propres pensées, en de sombres méditations. Ou bien, il nous observait silencieusement en affichant involontairement l'air triste d'un chien battu. Mais un soir, ou peut-être un matin peu avant l'aube, c'est la musique de Jimmy Cliff qui le ramena à la vie. Comme si cela venait de se produire à l'instant, je le revois clairement se lever d'un bond pour se mettre aussitôt à danser en murmurant, un large sourire aux lèvres, les yeux au ciel : "You can get it if you really want, you can get it...". Wolfgang était sauvé.

31 March 2013

L'horaire du biopoliticien

Depuis ce matin, après le petit-déjeuner, depuis l'instant où j'ai jeté un oeil sur l'affichage de l’horloge du PC, je ne décolère pas. Dans la nuit, les enculés, qui régissent la vie du troupeau des crétins-citoyens, ont avancé l'heure de 60 minutes. Pour le moment, je n'ai toujours pas synchronisé la seule horloge de l'appartement, un antique réveil électronique dont l'affichage digital indique encore l'heure d'hiver, mais je finirai par m'y résoudre, ne serait-ce que pour m'éviter de faire, mentalement et malgré moi, la conversion en horaire d'été. L'idée de me soumettre à ce dictât débile, même si ça ne changera rien à mon comportement, dans le sens où je ne vis qu'en fonction de ma propre horloge biologique, me rend vert de rage. Ça me rend vert de rage, parce que le fait que quelques types puissent obliger des millions d'individus à rogner sur leur sommeil, en les faisant lever au milieu de la nuit, pour les expédier avant l'aurore aux travaux forcés, me semble quelque chose d'absolument intolérable. C'est signifier ouvertement aux membres du troupeau que rien ne leur sera épargné, que tout sera fait pour les abrutir autant que possible, en préservant uniquement leur force de travail, la seule chose qui importe à tous les charognards assoiffés d'argent et de pouvoir. Mais, je crois que ce qui me rend encore plus enragé, c'est de savoir que des millions de crétins acceptent ça sans broncher, et pire, qu'une large partie d'entre eux trouvent ça formidable. Connards !

28 March 2013

Notes sur mes photographies

Rien à lire sur ces images qui puisse étonner, surprendre, choquer, bouleverser celui qui prendra le temps de les faire défiler sur son écran. Ni plus ni moins de ce type d'émotions n'est à attendre des séries d'images précédentes, idem pour celles qui suivront. Rien de grave, d'important, de mémorable n'est inscrit dans les textes qui accompagnent les images. La somme des photographies et des textes qui s'affichent sur les pages que je publie sur Traverses, depuis une dizaine de jours, maintenant, peuvent être assimilées au genre photographique bien connu qui est celui du reportage, c'est vrai. Mais, comme je l'ai déjà fait remarquer, et en admettant qu'on puisse parler de reportage, aucune volonté d'instruire le lecteur ne guide mon entreprise. Aucune prétention à une quelconque objectivité, non plus. Ce n'est donc pas du reportage, car je me tiens loin du désir d'informer, d'éduquer ou de persuader qui que ce soit.

Par ailleurs, j'ai cru, il y a déjà quelque temps, que je cherchais à révéler, par mes photographies, des pans obscurs de la Beauté dissimulée dans des objets ou dans des scènes ordinaires. J'ai cru cela parce que je me suis laissé aller à écouter d'une oreille le discours de ceux qui luttent avec une volonté farouche pour que la Beauté du monde ne soit pas ensevelie sous un amoncellement d'immondices, produits inévitables de la marche en avant de notre ignoble civilisation. C'est vrai, notre civilisation — plutôt la leur, parce que rien dans cette chose ne m'appartient — n'est pas des plus ragoûtantes. D'accord pour dire que nous vivons une époque absolument merdique. Mais, je dois être honnête. Aucune recherche du beau ne préside à ma pratique quotidienne de la photographie. Pas plus de ce côté que du côté "poids des mots, chocs des images", c'est-à-dire du côté illusoire du reportage. Je m'en suis rendu compte en remarquant qu'il ne viendrait jamais à l'idée d'un reporter, d'un touriste, ou même d'un artiste — quoique... de nos jours, les artistes ne reculent devant rien —, de prendre pour objet ce que je photographie habituellement.

Autre chose : je ne peux pas faire entrer ces images dans le cadre de la photo souvenir, car les scènes figées et numérisées par le Nikon ne sont pas à verser dans un précieux album que je regarderai la larme à l'oeil dans quelques années — en supposant que je vive si longtemps. Tout simplement parce que tout ce qui se trouve transcrit en images sur ces séries n'a, pour moi, aucune valeur affective. De l'église Sainte-Thérèse, au quartier de La Paillade, en passant par les berges du Lez ou les vignes de Vendargues, tout me laisse totalement froid, indifférent sur le plan émotionnel. Cette ville n'est pas la mienne, cette région encore moins. De toute manière, aucune ville, aucune région ne sont à moi, aucun pays n'est le mien. Et sûrement pas la région de Montpellier que je trouve particulièrement moche et abîmée, et même ravagée sous certains aspects. Pas d’appropriation possible, pas même l'idée d'une adoption.

Alors, pourquoi faire ces photos ? C'est simple : parce que si je ne les faisais pas personne d'autre ne les ferait, sauf, peut-être les cameramen de Google Street. Je suis d'ailleurs persuadé qu'ils travaillent dans un état d'âme similaire au mien, sauf qu'ils y apportent beaucoup moins de soins que moi. Ce qui m'amène à préciser, parce que je viens d'y penser, que je ne fais pas mes photos comme ces types munis d'un smartphone qui bombardent Instagram d'images insignifiantes, prises n'importe comment, sous le coup d'une émotion quelconque. Mes prises de vue ne sont pas comparables à celles d'Instagram affichant une pizza, un cornet de frites, un verre de bière, une image furtive prise de la fenêtre d'un bus, d'un métro, d'un train, les branches d'un arbre à contre-ciel, une affiche collée contre un mur, un graffiti, une silhouette sur sa moto, l'inévitable autoportrait, l'enfant gazouillant dans son berceau, l'ivrogne affalé sur le tapis au pied de son canapé, c'est-à-dire l'adulte que sera l'enfant dans quelques années, etc.. Non, rien à voir avec ces images faites pour immortaliser l'instant présent. Ces photos, prises au smartphone, sont produites avec encore moins de soins que ne leur prodiguent les opérateurs de Google Street, par contre, elles se veulent chargées d'instants vécus, d'émotions... Émotions à la con... Mais bon, passons...

Donc, c'est plutôt du côté de la photographie, comme peut en produire Google Street, qu'il faut ranger ces séries. Avec pour différences : le cadrage est soigneusement choisi, je ne prends pas tout et n'importe quoi, je n'ai pas besoin de flouter les visages, car j'évite de faire entrer dans le champ des personnages, je ne floute pas les plaques d'immatriculation des véhicules dont les propriétaires n'avaient qu'à pas se trouver là au moment de mes prises de vue, des prises de vue faites, la plupart du temps, à hauteur d'homme et non pas du haut d'une perche d'environ 2 mètres, et, dans l'ensemble, mes images sont de meilleure qualité que celles diffusées sur Google Street. Par contre, je retrouve l'atmosphère, l'ambiance que produisent les images de Google dans mes propres images. Celles de Google et les miennes ont un côté assez impersonnel, qui traduit bien le manque d'émotion de l'opérateur au moment de la prise de vue, ne cherchant ni à magnifier ni à déprécier ce qu'il a sous les yeux, mais seulement désireux de montrer les paysages tels qu'une caméra peut les restituer, dans un agencement plus ou moins complexe de formes et de couleurs.

Puisqu'il est question de couleurs, je me dois de faire remarquer aux éventuels spectateurs qu'aucune de mes images n'a échappé au traitement Photoshop. Là encore, rien de "naturel", aucune volonté d'objectivité par rapport à la réalité perçue. Dernière remarque qui, dans le cas des séries photographiques regroupées sous l'intitulé « Zones urbaines et suburbaines », m'amène à conclure quant à ma motivation principale. En dehors du fait de rendre à mes yeux perceptible l'extension inexorable et presque invisible — tant la situation semble banale, normale, inévitable — de la ville en direction de la campagne, je ne vois que la volonté de produire des images au contenu esthétique. Il faut alors entendre esthétique au sens premier du terme formé sur le grec : α ι ̓ σ θ η τ ι κ ο ́ ς, « qui a la faculté de sentir ; sensible, perceptible » et α ι ̓ σ θ α ́ ν ο μ α ι « percevoir par les sens, par l'intelligence ». La photographie n'étant rien de plus qu'un médium, un canal, un outil au service de l'intelligence. Et, comme tout outil, la photographie s'utilise avec plus ou moins de dextérité, de discernement afin d'obtenir de la transformation d'un objet, d'un sujet, le meilleur résultat possible, le plus intéressant.

24 March 2013

Vacuité

C'est cyclique, ce n'est pas la première fois que ça m'arrive : le Web me fatigue ! J'ai beau passer d'une page à l'autre, de Google Plus à Twitter, jeter un oeil sur Google News ou faire défiler quelques images sur Pinterest, rien ne retient mon attention. Pire, je n'y vois qu'un ramassis de conneries. Un désintérêt qui s'est plusieurs fois produit par le passé, mais qui qui n'a jamais duré bien longtemps, quelques jours tout au plus. C'est un peu différent dans le cas présent : le rejet du Web prend de plus en plus d'ampleur et s'étale sur plusieurs semaines. Je n'alimente presque plus mes blogs, et encore moins mes Tumblr. Une réaction probablement liée au manque de tonus provoqué par la fin de l'hiver. Pourtant, je sens que le malaise est plus profond. Le Web peut sembler vaste et donner l'impression qu'il regorge de trésors cachés. Je ne prétend pas que je n'y trouve plus rien. Il m'arrive encore de pousser une légère exclamation en découvrant un site ou un autre. Mais ce sont là des trouvailles qui se font de plus en plus rares. Il faut garder à l'esprit que, si le nombre d'internautes est maintenant phénoménal, très peu d'entre eux produisent véritablement du contenu, et ceux qui produisent des données se contentent trop souvent d'imiter des sites qui ont préalablement obtenu une certaine reconnaissance et qui généralement n'ont pas échappé à mes recherches. Aussi, au bout d'une quinzaine d'années passées à surfer, je ne devrais pas être trop étonné de pousser autant de soupirs en tombant sur des choses sans originalités, du déjà vu et revu, parfois des dizaines de fois. Mais, là, les soupirs sont beaucoup trop fréquents. Il va falloir que je me décide à opter pour une solution plus radicale que celle qui consiste à déplorer l'inutilité, la vacuité, la stérilité de mes navigations en ligne. Il me faut changer d'activité ! Faire plus de siestes en compagnie de mes animaux, par exemple. Et, surtout, passer beaucoup plus de temps avec eux. Ils ont des conversations bien plus savantes que celles que je pourrais avoir sur les réseaux sociaux. Ils m'enseignent mille fois plus de choses que ce que toute la Webosphère réunie ne pourra jamais faire. Ça sera tout pour aujourd'hui.