04 July 2013

Cons fleuris

Il y a bien quelque chose qui ne tourne pas rond chez les demeurés qui peuplent ce pays. Encore récemment, toute la population était offusquée par les révélations de Snowden disant que la NSA, la CIA, le FBI, et j'en passe, espionnaient le monde entier et que rien n'échappait à Big Brother : ni les conversations téléphoniques, ni les mails, ni les transactions financières, ni rien de ce qui fait la vie privée d'un individu. Quoi de surprenant dans ces pseudorévélations tellement la chose paraissait depuis longtemps évidente ? Pourtant, à ce sujet, tous sont aujourd'hui indignés. Mais, dans ce cas, il faudrait que ces indignés m'expliquent pourquoi dans les bars, les cafés, les restaurants, les transports publics, et partout où ils peuvent faire profiter l'entourage de leurs sublimes conversations, ils ne rechignent jamais. Toujours la gueule grande ouverte. On imagine qu'ils se sentent, dans ces endroits, encore protégés par l'anonymat, puisque les individus qui sont à portée de voix ne connaissent pas — sauf exception — leur identité, ni l'adresse exacte de leur domicile, ni quelles sont leurs fréquentations, leurs parents, etc. Ce n'est plus le cas, quand ces cons-là s'installent sur leur balcon et font profiter toute une résidence de leurs passionnantes conversations. Car ceux qui, de gré ou de force, sont amenés à les entendre, et même — n'en doutons pas — à les écouter, en savent bien plus sur leur identité que lorsqu'ils braillent dans un espace public. Mieux encore, ces idiots adorent passer leurs coups de fil du haut de leur balcon sur lequel ils se précipitent dès que sonne leur mobile, mais aussi pour appeler un correspondant dont on devine presque à tous les coups qui il peut bien être. Alors, pourquoi maudire la NSA, la CIA, le FBI et Big Obama d'un côté, et par ailleurs, étaler en public, à longueur de temps, cette prétendue vie privée, pourtant considérée comme infiniment précieuse ? Bien entendu, je connais parfaitement la réponse à cette question. Le seul problème, pour moi, c'est que je n'arrive pas à me résigner au fait que je suis en permanence cerné par des cons. Invariablement revient une autre interrogation d'une ampleur bien plus vaste que le problème de cette apparente contradiction comportementale, cette inadéquation totale entre discours et actes : pourquoi sont-ils si cons ? Là, on ne peut, quel que soit l'angle sous lequel on aborde la question, être en mesure de construire une réponse définitive ou même satisfaisante. C'est quelque chose qui dépasse l'entendement. Jamais personne ne recevra un prix Nobel pour avoir apporté l'ombre d'une solution. En tout cas, fondamentalement, ce n'est pas la résolution d'un tel problème qui occupe généralement mes pensées. Non, je me demande plutôt pourquoi suis-je si différent. Pourquoi, je ne partage que si peu de points communs avec cette engeance ? Suis-je un monstre ? J'en arrive à me demander si mes origines ne seraient pas extraterrestres. Si je ne faisais pas partie d'une mission exploratrice, venue d'ailleurs, et que tous mes compatriotes se seraient rapidement tirés d'ici, voyant sur quelle putain de planète ils avaient malencontreusement foutu les pieds. Pressés de s'arracher de ce merdier, ils m'auraient abandonné parce que je me serais aventuré, seul, bien plus loin qu'eux. Ou bien, je m'imagine comme une sorte de Crusoé de l'espace, mon aéronef s'étant désintégré à proximité de la Terre. BBL serait alors ma Fin de Semaine. Plaisanteries mises à part, je me sens nettement plus proche de mes animaux que de n'importe quel quadrupède humain. Et j'ai de multiples et très bonnes raisons pour étayer ce sentiment-là. Je les exposerai peut-être une autre fois. Maintenant, me revient en mémoire les bribes d'une comptine de mon enfance dont l'un des couplets parlait de balcons fleuris... Cons fleuris... Cons fleuris...

01 July 2013

Attendre l'été

Dans l'une des lettres adressées à Franz Xaver Kappus, cadet à l’École militaire, qui lui demande s’il doit consacrer sa vie à la poésie, Rainer-Maria Rilke écrit les mots suivants : « Être artiste, c’est ne pas compter, c’est croître comme l’arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l’été puisse ne pas venir. L’été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s’ils avaient l’éternité devant eux. » Les temps ont depuis bien changé, et il est certain qu'aujourd'hui Rilke ne pourrait plus tenir un tel discours. Les printemps ne sont plus ce qu'ils étaient. Ne parlons pas des étés, actuellement inexistants. En raison des « progrès » de la civilisation, les conditions climatiques, atmosphériques, prises au sens propre, ne sont plus identiques à celles du début du 20e siècle. Prises au sens figuré, ces conditions apparaissent, de nos jours, radicalement différentes. A l'aube du IIIe millénaire, un poète de la trempe de Rilke est absolument impensable, inimaginable. Un poète tout court, un artiste de seconde zone est déjà presque introuvable. Et si, par chance, on en trouvait un, on s'apercevrait aussitôt qu'il a déjà un pied dans la tombe. Les grands arbres sont tombés, rien ne pourra les relever. L'automne, l'hiver, le printemps... Tout ça, c'est dépassé. Le cycle des saisons est maintenant sans importance. Attendre l'été n'a plus aucun sens. Cette civilisation est désormais à l'agonie. Reste à patienter pour prendre, un jour ou l'autre, connaissance de son acte de décès. Ne soyons pas trop pressés. La fin des temps est proche.