01 July 2013

Attendre l'été

Dans l'une des lettres adressées à Franz Xaver Kappus, cadet à l’École militaire, qui lui demande s’il doit consacrer sa vie à la poésie, Rainer-Maria Rilke écrit les mots suivants : « Être artiste, c’est ne pas compter, c’est croître comme l’arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l’été puisse ne pas venir. L’été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s’ils avaient l’éternité devant eux. » Les temps ont depuis bien changé, et il est certain qu'aujourd'hui Rilke ne pourrait plus tenir un tel discours. Les printemps ne sont plus ce qu'ils étaient. Ne parlons pas des étés, actuellement inexistants. En raison des « progrès » de la civilisation, les conditions climatiques, atmosphériques, prises au sens propre, ne sont plus identiques à celles du début du 20e siècle. Prises au sens figuré, ces conditions apparaissent, de nos jours, radicalement différentes. A l'aube du IIIe millénaire, un poète de la trempe de Rilke est absolument impensable, inimaginable. Un poète tout court, un artiste de seconde zone est déjà presque introuvable. Et si, par chance, on en trouvait un, on s'apercevrait aussitôt qu'il a déjà un pied dans la tombe. Les grands arbres sont tombés, rien ne pourra les relever. L'automne, l'hiver, le printemps... Tout ça, c'est dépassé. Le cycle des saisons est maintenant sans importance. Attendre l'été n'a plus aucun sens. Cette civilisation est désormais à l'agonie. Reste à patienter pour prendre, un jour ou l'autre, connaissance de son acte de décès. Ne soyons pas trop pressés. La fin des temps est proche.

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