15 May 2012

Le Bon Filon

Les jours passent et seul le volume d'images épinglées sur Pinterest m'indique que quelque chose sur le Web éveille encore pour moi un peu d'intérêt, que tout n'est pas complètement détérioré, que quelques terres vierges méritent d'êtres explorées. Perçue sous l'angle des réseaux sociaux, la Toile me paraît presque désagrégée, atomisée, car plus rien ne fait sens. Il me semble que tout a croulé sous le poids de la masse, suite à une trop grande accumulation de données triviales et totalement insignifiantes. J'ai l'impression, face à l'écran, de me perdre dans un univers extrêmement bruyant, un vacarme d'où il est de plus en plus difficile d'extraire un signal porteur d'intelligence. Si, sur Google Plus, la somme de mes cercles totalisaient 3694 profiles au début du mois, je n'en compte plus que 766 aujourd'hui. Je devrai encore réduire ce chiffre à 10 profiles environ pour refléter réellement l'activité des internautes qui postent, plus ou moins régulièrement, quelques informations passablement intéressantes. Bref, c'est le bordel !

Piloter sur cet immense marécage encombré de déchets, c'est prendre le risque de se retrouver prisonnier d'un amoncellement de merdes à la dérive. Pour éviter ce genre de déboires, il faut naviguer rapidement vers une destination connue, parmi celles inscrites dans nos bookmarks du temps où l'on pouvait encore se baguenauder sereinement sur le Net. Maintenant, quand on sort sur la Toile, on doit toujours pouvoir passer en force, donc penser à ne jamais trop réduire sa vitesse, garder à l'esprit la dangerosité des courants qui tentent de vous rabattre contre des monceaux de fadaises artistiques, poétiques, littéraires et autres. Ces mots qui ne désignent presque plus rien et ne sont plus que l'ombre de ce qu'ils furent avant que ne déferle le tsunami soulevé par quelques petits malins voraces et tenaces qui ont su flatter une profusion de "créateurs" en mal de reconnaissance.

Car ils sont des milliers à se croire appelés par la Gloire, à penser qu'un epub changera bientôt leur vie. Bien sûr, ils ne vous l'avoueront jamais, et prétendent qu'ils polluent le Web uniquement pour le plaisir d'agiter leur petits doigts agiles sur un clavier. Le problème, c'est que ces créatures ne se rendent pas compte qu'elles participent de la même manière à ce que furent les débuts du tourisme de masse, quand les agents de voyages ont senti que le bon peuple était prêt à s'envoyer en l'air sur la Costa Brava ou, un peu plus loin, sur la Costa del Sol, et qu'il passerait bientôt le Détroit pour des destinations encore plus exotiques. Trigano a fait fortune avec son Club Méditerranée.

Aussi, certains pensent qu'il est temps de se lancer dans le business des agences culturelles de masse en se spécialisant dans le domaine du tourisme textuel. Ils montent des entreprises qui vous permettront de vivre dans la peau d'un écrivain, d'un poète, d'un plasticien comme le touriste d'antan a pu se glisser dans la peau d'un Stanley ou d'un Livingstone. Le passeport sera un peu plus épais que celui d'un aventurier moderne, puisqu'il aura l'épaisseur d'un petit livre et contiendra tout ce que vous voudrez bien y mettre : des mots, des dessins, des photos, etc.. Tout ça, dans l'ordre qui vous plaira. En contrepartie, la modique somme d'argent, qui vous sera gentiment réclamée, servira à la publication de votre oeuvre au format epub, ainsi qu'à la rapide promotion de ce livre non-matérialisé sur le site de l'agence culturelle. Cette officine en ligne se chargera de tout ou presque. En effet, peu importe que votre syntaxe soit approximative, votre orthographe lacunaire, aucune correction ne sera pour autant envisagée. D'ailleurs, vos improbables lecteurs seront de toute façon bien plus indigents que vous sur ce plan et ne remarqueront rien. Mais, pour vous, n'en doutez pas, le but sera atteint, car vous accéderez alors au titre d'écrivain, poète, plasticien, photographe, en un mot : artiste ! Immaginez !!!

En tout cas, ne venez surtout pas vous plaindre, plus tard, si la nationale 7 du Web est surchargée, si de belles et authentiques pages culturelles sont défigurées à jamais, si les cantines de Palavas les Flux RSS sont toujours débordées, et, si chaque fois que vous mettez le nez sur la Toile, vous vous heurtez à des montagnes d'inepties qui menacent de s'écrouler sur vos cervelles ramollies...